Akram Belkaïd, La France vue par un blédard. Chroniques
Michèle Sola-Granier
Akram Belkaïd, La France vue par un blédard. Chroniques, Paris, Editions du Cygne, coll. « Recto Verso », 2012, 184 p., ISBN : 9782849242599.
C’est sous le titre de « La France vue par un blédard » qu’Akram Belkaïd réunit aujourd’hui une cinquantaine de ses chroniques hebdomadaires publiées dans Le Quotidien d’Oranentre 2005 et 2011.
2Mais qu’est-ce qu’un « blédard » ? À l’origine, le mot « bled » signifie « terre », « pays ». A la fin du XIXe siècle, avec la colonisation, un blédard est un soldat ou indigène vivant dans le bled. Ce terme de « bled » désigne ensuite, en 1935, un petit village isolé, sans ressources. Et aujourd’hui, pour les immigrés (les « zmigris » comme disent les Algériens restés sur leur territoire), le « blédard » est le péquenaud qui arrive du pays, fraîchement débarqué. Autant dire qu’il ignore tout des usages de la France.
3C’est dans un train de la banlieue parisienne qu’Akram Belkaïd s’est ainsi fait cataloguer un jour par un groupe de jeunes Maghrébins immigrés quelque peu chahuteurs. Le qualificatif a amusé notre auteur qui, arrivant pour la première fois d’Algérie en 1995, ne méritait pourtant pas la connotation péjorative du mot.
4Ni cousin de Rica et Ibsen, les deux Persans de Montesquieu, ni Huron débarquant en Basse Bretagne, Akram Belkaïd a non seulement du monde arabe une connaissance approfondie mais il porte sur les Français, leurs mentalités et leurs hommes politiques un regard lucide, pénétrant et parfois malicieux.
5L’auteur exprime volontiers une certaine nostalgie de la France d’antan. La représentation qu’il en avait, née sans doute de souvenirs livresques ou iconographiques (Simenon ? Carné ? Doisneau ?) ne correspond pas à ce qu’il observe. On pense à Prévert évoquant « le petit bruit de l’œuf dur cassé sur un comptoir d’étain » lorsqu’il déplore la disparition aujourd’hui des œufs durs familiers de nos anciens bistros parisiens. Et que sont devenues les belles Dames du temps jadis, soupire-t-il, ces élégantes, parangons du chic parisien ? Aujourd’hui en tongs, elles arborent des tenues négligées qui navrent le promeneur étranger car, comme l’écrit avec humour notre auteur, « la Parisienne élégante devient aussi rare que le dauphin en Méditerranée » (chapitre III, p. 17).
6Les premières chroniques de ce recueil sont des billets d’humeur où s’exprime tantôt la difficulté, pour un homme du sud habitué à la lumière, de vivre chaque jour sous un ciel parisien désespérément gris, tantôt l’amusement devant la frénésie des achats de Noël ou le succès du magazine Be au slogan éminemment culturel : « pour être hyper fashion toute l’année ».
7Mais là où Akram Belkaïd excelle c’est lorsqu’il analyse les tensions sociales que connaît la France, la situation des immigrés et la manière dont ceux-ci sont perçus par les Français de souche, leur instrumentalisation dans le débat politique actuel et le non-engagement de nos élites dans les problèmes des pays du Maghreb sitôt qu’ils ont été « couscoussés » ou « taginés » ; entendez par là reçus comme des princes lors de vacances en Algérie ou au Maroc et incapables ensuite de « mordre la main qui les a nourris ».
8Notre blédard ne mâche pas ses mots non plus quand il parle de Nicolas Sarkozy, fustigeant sa politique et ses écarts de langage.
9Semaine après semaine, en fonction de l’actualité, il poursuit sa chronique, rappelant la France à ce qui a fait son honneur : une certaine idée de l’homme, les principes républicains, surtout celui de fraternité. Principe vibrant encore au cœur de certains, tels ces hommes et ces femmes anonymes qui manifestèrent en mai 2009 devant le Conseil d’Etat, en cercle et dans le plus total silence, pour protester contre le refus du droit d’asile demandé par les migrants.
10D’autres fois, il met en garde contre la stigmatisation des musulmans et la montée de l’islamophobie car, dit-il, l’histoire parfois se répète : « Comme dans les années 1930, l’extrême-droite distille son venin et fait planer le soupçon sur les citoyens français de culture étrangère. Hier, c’étaient les Juifs. Aujourd’hui, ce sont les musulmans. » (chapitre V, p. 163).
11Le port de la burqa, les prières dans certaines rues de la capitale, la question de l’identité nationale, le « syndrome du jeune à capuche » (sic), la sur-médiatisation du ramadan, autant de sujets abordés successivement et qui donnent de la France l’image d’un pays frileusement replié sur son nationalisme.
12Ces 56 chroniques sont donc l’œuvre d’un Algérien cultivé, parfaitement au fait des us et coutumes de l’hexagone, d’un journaliste clairvoyant, d’un humaniste militant, en somme d’un anti blédard. En phase avec l’actualité conformément aux lois du genre, ces chroniques sont à « consommer » sans tarder. On savoure davantage leur sel lorsqu’elles concernent les années les plus proches de leur publication. Reste la possibilité de découvrir en ligne de nouveaux billets, tel l’irrésistible « hallali sur le halal » paru sur le blog de l’auteur (http://akram-belkaid.blogspot.fr/). Ce faisant, le lecteur pourra prolonger le plaisir de se regarder lui-même, croqué avec humour mais sans complaisance par un pertinent observateur.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique
Michèle Sola-Granier, « Akram Belkaïd, La France vue par un blédard. Chroniques », Lectures [En ligne], Les comptes rendus, 2012, mis en ligne le 27 avril 2012, consulté le 04 octobre 2012. URL : http://lectures.revues.org/8235
RÉDACTEUR
Michèle Sola-Granier
Professeur de Lettres dans l'enseignement secondaire à Paris
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